• Johanna Cincinatis, Josette Torrent et Olivier Montégut,
    Johanna Cincinatis, Josette Torrent et Olivier Montégut, Photo transmise par Olivier Montégut

Le témoignage d’une des plus jeunes résistantes de France, un document précieux et captivant

Mis à jour le jeudi 02 mai 2024 par Eva Kopp

Êtes-vous prêt pour un voyage fascinant à travers le temps, guidé par l’une des plus jeunes résistantes de France ? Place à "J’avais 12 ans et j’étais résistante", un documentaire littéraire immersif pour une plongée sensorielle à travers les souvenirs de Josette Torrent. Son précieux témoignage se lit comme un roman où chaque page éblouit par la précision étourdissante de détails. On s’émeut de l’enfance qui s’exprime avec ses contradictions, son assurance, ses rêves et sa foi inébranlable en un père tant aimé. Une écriture d’une grande finesse et d’une immense fluidité pour un livre que l’on débute comme un documentaire… et que l’on s’étonne de ne pas pouvoir refermer avant d’avoir lu le dernier mot tant il bouleverse. Un livre d’utilité publique. À lire et à relire.

Raconter sera le seul moyen de trouver un sens à ton chagrin. Transmettre pour ne pas oublier. Répéter pour ne pas refaire. Tu feras du devoir de mémoire la nouvelle mission du reste de ta vie. Extrait de "J'avais 12 ans et j'étais résistante"

J’avais 12 ans et j’étais résistante
de Josette Torrent, Johanna Cincinatis & Olivier Montégut, Harper Collins

Josette, 10 ans, vit paisiblement en Bretagne lorsque les nazis entrent dans Saint-Malo. Son père, parti au front, finit par gagner la zone libre. La famille traverse la France pour le rejoindre près de Perpignan. Le quotidien est difficile, mais les Torrent restent soudés. Pourtant, mystérieusement, le père de Josette s’absente de plus en plus longtemps et s’enferme souvent dans une pièce vide de la maison. À l’aube de ses 12 ans, Josette découvre qu’il est résistant et qu’il a besoin d’elle. Elle commence alors une double vie : derrière l’apparence d’une collégienne espiègle se cache l’une des plus jeunes résistantes de France. Qui pourrait soupçonner une adolescente à l’air innocent ? En 1944, son père est arrêté et déporté. Le récit captivant et émouvant d’une jeune fille que rien ne prédestinait à jouer un rôle déterminant dans les pages les plus sombres de l’Histoire.

 

Entretien avec Johanna Cincinatis & Oliver Montégut

Johanna Cincinatis est autrice et journaliste indépendante. Olivier Montégut est journaliste radio, rédacteur en chef adjoint d’AirZen Radio, la première radio d’informations positives en France.

Johanna Cincinatis et Olivier Montégut en pleine séance de travail avec Josette Torrent.
Johanna Cincinatis et Olivier Montégut en pleine séance de travail avec Josette Torrent. Photo transmise par Olivier Montégut

Comment a débuté cette formidable aventure humaine et littéraire qu’est « J’avais 12 ans et j’étais résistante » ?

Johanna Cincinatis Ça commence à l’automne 2020. Je propose à Olivier que l’on travaille sur une série de podcasts qui auraient pour objectif de mettre en valeur des femmes qui ont marqué la région Occitanie. Olivier a l’idée de faire un épisode sur la résistance.

Olivier Montégut C’est un sujet qui me tenait à cœur et j’avais travaillé dessus en école de journalisme. On en trouve une : Marie-Louise Dissard à Toulouse. Comme c’est un podcast sponsorisé par la Région Occitanie, on essaie d’aller un petit peu plus loin que Toulouse. Par hasard, je tombe sur le profil de Josette qui apparaît dans quelques articles web du journal L 'Indépendant à Perpignan et qui la présente comme la plus jeune résistante de France. Je contacte Josette via une association qu’elle préside pour avoir son témoignage. On a d’abord un refus. On répond à Josette qu’on est un petit peu déçu de voir qu’elle n’a pas envie de parler, d’autant qu’on a bien compris que le devoir de mémoire était important pour elle. Et Josette, je pense, prend un peu la mouche… Quelques jours plus tard, elle me rappelle directement pour me dire « j’accepte une interview ». On rencontre Josette. On fait son interview pour le podcast. Une relation naît avec elle. On propose son portrait écrit à la première personne pour le magazine Ça m’intéresse. Quelques mois après publication du sujet, Johanna est contactée par un représentant de la maison Harper Collins qui nous propose d’écrire son histoire dans un livre. Josette qui avait toujours refusé de le faire avec des proches ou avec d’autres journalistes, comme on est jeune, comme on a su transmettre son histoire par deux fois, elle nous fait confiance. Et on devient tous les 3 coauteurs.

 

La lecture de ce document est extrêmement troublante dans la mesure où la richesse de détails et le ton donnent l’impression d’être « en immersion » en pleine seconde guerre mondiale. Comment avez-vous recueilli la parole de Josette et comment avez-vous recherché les informations nécessaires pour rédiger ce document ?

JC On a passé beaucoup de temps avec Josette. Il y a un moment où on était sur une cadence où on se parlait toutes les 2 semaines pendant 3-4 h. Ça a duré entre 6 mois et un an. À l’été, on se met à écrire et là on se dit : OK, comment est-ce qu’on va construire un récit ? D’abord d’un point de vue de la narration, qu’est-ce qu’on va faire ? Est-ce qu’on fait quelque chose de chronologique ? Est-ce qu’on fait quelque chose d’un peu biphasique (ce qu’ils ont fait) avec les sauts dans le temps ? On voulait des cliffhangers, des personnages secondaires… Mais voilà, Josette, elle a 93 ans. Il y a des détails qui lui échappent. On a donc assumé qu’il y aurait une partie qui serait romancée. Cette partie romancée, en fait, c’est peut-être 5 % du récit. C’est par exemple : la couleur d’un vêtement, un dialogue qui ne s’est pas exactement passé comme ça. C’est vraiment de l’ordre du détail parce qu’elle a quand même une mémoire de dingue. Je dis 5 % parce que tout le reste, c’était intact. Elle nous racontait des scènes qui étaient tellement visuelles, cinématographiques…

 

N’est-ce pas parce que le trauma est encore vivant ?

"Josette est restée à l’âge de son traumatisme. C 'est pour ça que c’est aussi vif dans sa mémoire. Sa vie s’est vraiment arrêtée à 14 ans quand elle a appris le décès de son père et qu’elle l’a refusé. " Olivier Montégut

OM C’est comme si elle avait figé mentalement ce qui s’était passé et que c’était revenu à elle dans les années 90. C’est pour cela que c’est resté aussi intact. , Ça, c’est le premier point. Le deuxième point, c’est que comme le dit Johanna, on l’a beaucoup faite travailler. La mémoire est un muscle. À chaque scène, à chaque moment clé de l’histoire, on lui faisait répéter, rerépéter, retravailler, lui demander de quelle couleur était ce vêtement ? Quelle était l’ambiance de cette cuisine ? Comment était physiquement cette personne ? Il y a même des fois où, après 4 h passées avec elle, le lendemain elle nous recontactait pour dire : « J’ai réfléchi toute la nuit… La robe d’infirmière de ma mère était bleue, elle n’était pas blanche. »

Sur la fin de l’écriture, on est parti 4 jours à Perpignan en immersion dans les Pyrénées, dans l’ambiance de ce récit. On a refait une randonnée avec la fille de Josette, sur les traces de Josette et son père. On a eu tous les éléments visuels des villages par lesquels ils étaient passés pour faire passer les gens dans les Pyrénées. Ça aussi, ça nous a donné de la couleur. On a interrogé des gens de sa famille. On avait aussi des contre points de vue sur les personnages secondaires. Les fameux 5 %, comme le dit Johanna, c’est alimenter des dialogues qui ne se sont pas forcément passés à ce moment-là et exactement comme ça. Mais en fait, on a retrouvé l’idée, on a retransformé tout ça. Tous ces ingrédients-là font que c’est aussi vivant et précis.

 

Il y a une grande fluidité dans l’écriture avec un style et un ton qui sont le même du début à la fin. On pourrait croire que c’est le même auteur qui a tout écrit de A à Z. Comment avez-vous fait pour écrire à 3 ?

OM Josette était beaucoup là pour témoigner, relire, corriger, proposer… Elle n’a pas écrit à proprement parler mais c’est son histoire. De notre côté, toutes les fois où on retrouvait Josette, on faisait du verbatim, c’est-à-dire : on prenait mot pour mot ce qu’elle disait. Ensuite on s’est réparti les chapitres, les moments clés de sa résistance selon nos affinités. Puis on les corrigeait. On avait donc une double lecture. Ça permettait déjà d’unifier un petit peu le ton. C’est vrai qu’on n’a pas exactement les mêmes écritures avec Johanna, c’est quand même normal. Quelques mois avant la remise du manuscrit, quand on est parti dans les Pyrénées, on a repris chapitre par chapitre. On a tout réécrit à 2 : c’est-à-dire que toutes les phrases, tous les mots, on prenait l’existant et on reformulait. Ce qui a donné un ton aussi unifié, c’est qu’on a tout repris à 2. On réfléchissait chaque mot, chaque phrase, chaque intonation, chaque scène. Josette a tout validé. Il y a eu des corrections à la marge mais c’est vraiment de l’ordre du détail. La toute dernière version du manuscrit qu’on lui a envoyée, elle l’a lu en intégralité (jusque-là, elle avait des chapitres). On l’a appelé et elle nous a dit qu’on n’aurait pas pu tomber plus juste. Qu’elle avait l’impression qu’on avait vécu ça avec elle.

 

Comment Josette et sa famille ont-elles réagi à la lecture du document ?

OM Josette, ça a été une façon pour elle, elle nous l’a dit plusieurs fois, de faire son deuil. Si tant est qu’on puisse faire son deuil. C’est une énorme page qu’elle tourne. Je pense que c’était la conclusion de sa prise de conscience dans les années 90. Je pense que sur ça, ça l’a aidé franchement. Elle n’est plus la même que quand on l’a rencontrée. Quand je l’ai rencontrée la première fois, elle était beaucoup plus distante. Le livre a été un travail titanesque pour elle. Mais aujourd’hui, elle le raconte devant les élèves de façon beaucoup plus apaisée qu’elle ne le faisait il y a quelque temps. Pour ses enfants, ça a été aussi une façon de se reconnecter à leur mère. Les petits-enfants avaient déjà cette connexion, mais aujourd’hui c’est une fierté pour eux de voir leur grand-mère qui s’exprime autant. Ça a été globalement, on va dire à 90 %, bien reçu par la famille parce qu’on a été très en lien avec eux. On a été beaucoup de fois là-bas. On a fait toute la promo avec eux.

Johanna Cincinatis, Josette Torrent et Olivier Montégut,
Johanna Cincinatis, Josette Torrent et Olivier Montégut, Photo transmise par Olivier Montégut

En quoi l’écriture de ce roman a-t-elle modifié votre rapport au Monde ?

JC Je me suis rendu compte qu’en fait, ce n’était pas qu’une histoire de résistance qu’on a écrite mais c’est une histoire de relation entre un père et sa fille. Une relation fusionnelle. Ce que veulent les gens, c’est aimer et être aimé. Josette aurait-elle fait cela si son père ne l’avait pas fait ? C’est difficile d’écrire ça comme ça et de l’écrire bien en étant respectueux des personnages qui sont de vraies personnes. On s’est un peu plongé dans une famille avec ses traumas, ses déchirures, ses amours parfois maladroits, fragiles… Cela m’a passionnée à un moment de l’écriture, je me suis dit "en fait, on est en train d’écrire sur la famille."

OM Josette reste et restera, notre, et mon, plus beau sujet d’interview. Mais au-delà de l’objet journalistique, j’ai la sensation qu’on a participé avec elle à une transmission. C’est l’une des dernières, si ce n’est peut-être la dernière, mais en tout cas c’est l’une des dernières résistantes encore en vie et donc c’est le dernier témoin vivant à pouvoir raconter aux jeunes, qu’elle a dû vivre dans des privations, que son père a été déporté, qu’elle a résisté, qu’elle a dit non à l’invasion des nazis. C’est dingue quand même de pouvoir partager ça.

 

Quels sont vos projets et actualités ?

JC Je publie un second ouvrage sur l’amitié entre femmes, ses spécificités, ce qui l’empêche et qui lui permettrait de prendre plus de place dans nos vies. "Elles vécurent heureuses", publié chez Stock, est un essai à la première personne qui mêle des éléments de recherches sociologiques, psychologiques, de la pop culture. (Spoiler Alert de Toulouscope : il est passionnant !)

OM Professionnellement, je continue mon aventure à AirZen Radio, ce qui est déjà un projet en soi. Mais moi si je peux partager un truc, plus personnel, entre-temps j’ai eu une petite fille. Je trouve ça chouette de me dire que c’est une histoire que je pourrai lui transmettre. Je prie très fort pour que ma petite fille n’ait jamais à vivre ce qu’elle a vécu Josette. Mais en tout cas, l’esprit de résistance de Josette, j 'espère pouvoir le transmettre à ma fille.

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