Jean-Pierre Armand : "Dans dix ans, Toulouse sera une référence mondiale dans la lutte contre le cancer"
Le directeur de linstitut Claudius-Regaud quitte Toulouse après avoir uvré au lancement de lInstitut universitaire du cancer. Loccasion pour ce spécialiste réputé de faire le point sur quarante ans de carrière et sur la destinée de cet hôpital modèle, attendu pour début 2014 sur le site de lOncopôle, à Langlade.
T.M. : Dans quel état desprit quittez-vous la direction de Claudius-Regaud et le projet dInstitut universitaire du Cancer (IUC), à lOncopôle ?
J.-P.A. : Je suis heureux, parce que le projet a très bien avancé et que le transfert de Claudius-Regaud et de la cancérologie a été défini. Tout le monde sait qui sinstallera à Langlade, où le monde industriel nous attend. En revanche, je me sens un peu triste car il se prépare une étape de très longue haleine, qui prendra au moins dix ans, pour hisser léquipe au niveau international, en termes de recherche et de reconnaissance. Or il est temps que je passe la main. Plusieurs directeurs seront sans doute nécessaires : il y aura tout un chainage, de linvention du concept jusquà sa pleine puissance et son affichage mondial, dans lequel chacun aura joué son rôle.
Vous avez consacré quarante ans au cancer. Quest-ce qui vous a engagé sur cette voie ?
Quand javais 17 ans, je voulais être chercheur, mais je nétais pas sûr de trouver... Ou enseignant, mais sans savoir dans quelle discipline En tout cas, je voulais être utile. La médecine permet tout ça à la fois. A Toulouse, jai découvert deux choses : on peut être docteur-constructeur, comme je lai fait avec lIUC, et médecin-politique, à limage de Philippe Douste-Blazy.
Quelles avancées retenez-vous ?
Les cancérologues ont développé des médicaments qui, pour certains, ont guéri des cancers, comme la leucémie. Nous avons su transformer des maladies graves et aigues en maladies chroniques, stabilisées, et avons fait des progrès dans le dépistage. Par contre, nous ne sommes pas bons dans le domaine de la prévention et de lévaluation du risque environnemental. Sur ce point, Toulouse, capitale agricole qui a souffert dennuis industriels, devrait être pionnière en la matière.
Comment imaginez-vous les traitements de demain ?
Je ne pense pas quon pourra un jour guérir tous les cancers. La vieillesse en fait apparaître de très tardifs. Lobjectif est daider au mieux les malades à vivre le plus longtemps possible, dans de bonnes conditions. Par ailleurs, les traitements tendent vers une individualisation. Pour le cancer du sein par exemple, on dispose de médicaments actifs, qui ne sont efficaces que pour vingt patientes sur cent. On travaille désormais une identification des populations sur lesquelles ces traitements fonctionnent.
Comment êtes-vous devenu, en 2007, lun des acteurs de lOncopôle ?
A la suite de lexplosion dAZF, Philippe Douste-Blazy et Pierre Fabre ont voulu créer un lieu de progrès, dans une ville monothématique en raison de laéronautique. On ma demandé de participer au conseil scientifique international. Quand il sest agi de trouver quelquun pour faire démarrer le système, ils se sont heurtés à des blocages locaux. Jai refusé car je savais que javais une durée limitée dans le temps. Je leur ai donné trois noms, tous ont décliné. Cest à ce moment-là que jai accepté.
Que va apporter lOncopôle à la ville ?
Il va permettre un affichage international de la cancérologie toulousaine et attirer des industriels et des biotechnologies. Le congrès annuel de lECC (European Cancer Clusters) se réunit déjà à Toulouse depuis trois ans. Nous assisterons à la création de nouveaux métiers : on inventera des "pilotes de simulateur de situation cancérologique". Ce sera un modèle pour la cancérologie, et surtout pour la radiothérapie et la chimiothérapie. Dans un second temps, lOncopôle pourra faire la différence sur la question des risques environnementaux et des avantages nutritionnels.
Quelles promesses porte lInstitut universitaire du Cancer ?
Il va participer à la dynamique dinvention, grâce à la présence de laboratoires. Sa volonté est dêtre ouvert sur toute la région et équitable. Tous les malades de Midi-Pyrénées, même des villages les plus reculés, devront avoir accès, même de manière indirecte, grâce à la e-santé, aux mêmes soins. Lintelligence devra circuler.
Ses effets se font-ils déjà sentir ?
Lexistence dune volonté politique forte, la construction dun tel hôpital en période de crise et la qualité des personnes réunies affichent déjà Toulouse comme un centre de référence. Pour preuve, la compétition ouverte pour reconnaître le Pôle hospitalo-universitaire du cancer en France, qui bénéficiera de 40 millions deuros de financement, na que deux candidats : Paris et Toulouse. Ce qui nous place comme les challengers dun centre de premier niveau. Nous sommes donc dans la compétition alors que nous ne sommes pas encore installés.
Vous partez avant larrivée des équipes. Dans quelles conditions va seffectuer le recrutement ?
En rugby, Toulouse disposait du plus beau vivier de joueurs, mais la décision a été prise de recruter un tiers des rugbymen au niveau national et lautre au niveau international. Cest un peu ça quil faut à lIUC : une cross-fertilisation de toutes ces intelligences. Le recrutement devra seffectuer dans six mois, soit un an et demi à lavance. La difficulté, cest que la période nest pas faste sur le plan financier. Le monde industriel du médicament est en repli. Les gens hésitent à bouger, mais la qualité de vie locale pèsera dans la balance.
Quel est votre souhait concernant le devenir des locaux de Claudius-Regaud ?
Nous avions deux projets. Lun, porté par le CHU, était de lancer une école de santé publique, comme il en existe à Rennes. La deuxième, défendu par luniversité et moi-même, était de fabriquer un "hôpital virtuel", pour former, avec toutes les techniques modernes, les médecins, les infirmières et le personnel. En gros, de transformer lhôpital en léquivalent dun simulateur de vol pour Airbus, où on apprendrait les parcours de patients, lutilisation dappareils de radiothérapie, de radiologie Mais je crains que la construction dun projet très ambitieux à Claudius-Regaud ne se heurte au manque de financements actuel.
Vous entamez une nouvelle vie, quelle sera-t-elle ?
Je vais prendre un peu plus de temps pour moi. A Paris, je vais revoir des malades. Je men étais éloigné, alors que cest le plus passionnant. Je vais également faire de lenseignement et revenir à lInstitut Curie et à Gustave-Roussy. Par ailleurs, je souhaite reprendre une activité internationale de conseil et de formation, en Chine et aux Etats-Unis.
A 68 ans, quest-ce qui vous retient de prendre votre retraite ?
Jai une fille âgée de 15 ans, qui a besoin de voir son père travailler. Tout comme mon épouse, qui est en peine activité internationale. Cest bon signe quand tout le monde travaille dans une famille !